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lundi 3 août 2015

Émilie Bonaventure et ses tiroirs malicieux

Par Leslie Picardat
Texte repris d'une première parution sur loeilde.fr


Portrait d’Émilie Bonaventure au plat - Fornasetti ! dans sa boutique Personnel & friends 

Émilie Bonaventure a prévenu ; elle aime les réponses à tiroirs (plusieurs niveaux de lecture) tant dans son discours que dans ses décors et scénographies qu’elle conçoit pour des galeries d’art, restaurants, boutiques, résidences et appartements privés. Très présente sur le terrain du marché de l’art, Émilie Bonaventure est réputée pour ses scénographies de stands qu’elle crée à l’occasion des plus grandes foires d’art, Design Miami/Basel, la Biennale des antiquaires, le Pavillon des arts et du design – lauréate du prix du stand au PAD à Paris (2008 et 2015) et Londres (2011) pour la Galerie Jacques Lacoste. Avril 2015 inaugure une première collaboration avec la très pertinente Stephen Friedman Gallery à Londres (www.stephenfriedman.com). Gastronome passionnée, elle est aussi co-conceptrice de Rose Bakery Culture à la Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert, un restaurant de 40 couverts dont elle assure la direction artistique et le décor. Entre architecture d’intérieur et scénographie, parfois proche d’une démarche curatoriale, cette historienne de l’art de formation prend des passerelles subtiles et oscille entre plusieurs fonctions. Pour les 10 ans de son agence be-attitude, elle a ouvert une boutique «Personnel & friends» à Paris, où son goût pour l’objet mêle des pièces chinées, vintage (mobilier, luminaire...) et des éditions contemporaines. Elle nous reçoit dans ce nouvel espace qui reflète sa personnalité.

Comment vous définissez-vous ?

Décorateur-scénographe. Je me présente aussi comme architecte d’intérieur pour que les gens comprennent mais c’est, à mon sens, plus restrictif. Pour exercer mon métier, il faut être aussi acheteur de mobilier et « créateur d’ambiance ».

Le déclic ?

À 14 ans. J’étudiais au Lycée technique avec une spécialité arts appliqués en design, packaging. Après mon bac à 17 ans, j’ai poursuivi en histoire de l’art à l’École du Louvre, et travaillé comme assistante de galerie, puis pour l’architecte Chahan Minassian.

Votre style, votre approche du décor ?


J’aborde l’espace par l’objet, point de démarrage. Je ne cherche pas à imposer un style à tout prix, un « style signature » qui commencerait par moi. J’aime partir de l’objet pour raconter une histoire.

Je privilégie l’histoire, le récit derrière l’objet. J’ai parfois des clients qui commencent par me dire qu’ils détestent le vert ou la couleur bleue et qui, par la suite, finissent par changer d’avis. Il faut comprendre pourquoi on en est arrivé là. C’est un métier très thérapeutique pour tout le monde finalement. Il n’y a pas de mauvaise couleur. Je ne pense pas en termes de beau ou laid.


Quelle est la tendance ?

« Ça dépend ». Paris, New-York, Ibiza, Stockholm, rien à voir. La réponse ne sera pas la même suivant la foire, le pays, l’esthétique changeante, le public.

L’humour, le jeu et l’inconscient sont à l’origine de bien des créations. Pour vous donner une anecdote, les premières années de collaboration avec la galerie Jacques Lacoste, un jeu ludique avec Jacques consistait parfois à inventer des histoires, dissimulées dans le décor. Le Jeu est revenu de manière plus ou moins consciente comme une résurgence en 2009 au PAD à Paris et en 2015 à Art Basel dans un décor autour de Mallet-Stevens. J’avais choisi pour le sol une couleur corail et blanc.

Voyez, le design, c’est aussi ça. J’aime l’humour, les jeux de mots et mots d’esprit – rire de bon cœur. Je suis moi-même très bon public.


Vous inaugurez aujourd’hui «Personnel & friends », une nouvelle boutique, comment repérez-vous vos objets ?

Dès que je peux, je chine, j’achète… c’est une quête perpétuelle… aux puces, dans les salles de vente. Sans le marchand, le collectionneur loupe une étape. Le marchand a un œil ; il repère et fait le tri. Je fonctionne au coup de cœur. Pas de limites, si ce n’est le budget, avec pour modèle, Colette [boutique au 213 rue Saint-Honoré, 75001 Paris]. Pour les pièces manufacturées, je sélectionne 3 -4 pièces par maisons. Chez Menu, marque danoise de design, je choisis une table ou quelques pièces de vaisselle suivant les collections. Le choix est sélectif.Pour ma boutique, j’ai voulu des prix accessibles. Un achat est un « investissement » très personnel ; il se fait parfois l’écho d’un souvenir.


Boutique Personnel & friends, 22 rue Milton - 75009 Paris

Parlez-moi de votre travail récent pour la Galerie Stephen Friedman à Londres ?

Une proposition inattendue, menée dans l’urgence et la frénésie. Le sujet était intéressant: créer à la Friedman Gallery, une galerie factice, prénommée « Galerie de l’époque », située à la fin des années 50 à Paris, avec une sélection d’œuvres d’art moderne et plus contemporaines [27 artistes internationaux représentés, parmi lesquels Picasso, Juan Gris, Calder, Jean Arp, Lucio Fontana, Isa Genzken, Gego, Jiro Takamatsu…]. En jouant sur la temporalité, la démarche était d’instaurer un dialogue et de faire naître des correspondances. Trouver le mobilier – Alain Richard et Jacques Dumond – et assurer la pertinence de l’accrochage revenaient à la partie scénographie dont j’étais en charge. Sur l’importance du « sourcing », je pouvais m’appuyer sur un réseau de connaissances et de galeristes parisiens comme Thomas Fritsch (Artrium), Jacques Lacoste ou Pascal Cuisinier.


Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres

Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché de l’art ?

A 19 ans, je travaillais comme assistante d’Antoine Broccardo, à la Galerie Alb antiquités. Je percevais la relation avec le client comme sérieuse mais décontractée et complice. J’ai crée ma boutique avec le souvenir de cette spontanéité de l’achat et du plaisir recherché, essentiel. Le client, collectionneur-amateur, venait se faire plaisir en achetant à des prix raisonnables. À 500 frs, c’était possible. Aujourd’hui, je regrette qu’on commence à parler du prix avant de parler de l’objet… que les collectionneurs se détournent des galeries pour aller dans les maisons de ventes ou faire leurs achats sur internet. Pour moi, les grandes salles internationales, c’est « boring ». Dans la galerie, une relation humaine se crée, une reconnaissance… je suis une militante des galeries… je privilégie le contact avec l’objet plutôt que le catalogue d’objets.

Le métier de décorateur-scénographe ?

Il est toujours présent au sein des galeries, la mise en valeur de l’objet par la scénographie va contribuer à valoriser une œuvre mais il pâtit des difficultés financières des galeristes. Bien qu’elles se multiplient, les foires d’art ne sont plus commercialement dans une phase ascendante.

Quels sont vos projets, vos chantiers en cours, vers une clientèle plus internationale?

Je voyage beaucoup…

Pour mes projets en cours : le PAD London en octobre. The Salon Art+Design, une nouvelle foire à New York en novembre, avec Thomas Fritsch pour la galerie Artrium. Art Basel Miami en décembre. Puis, l’univers food, avec de nouvelles collaborations, dont le chef Grégory Marchand.

Votre actu ?

« La lumière parle », une exposition en préparation au Marché Dauphine à Paris, du 19 septembre au 8 novembre prochain, avec des objets vintage et contemporains, mis en dialogue. Le sujet est la lumière comme objet. Puis, une conférence « Design au féminin » prévue au Silencio le 11 septembre prochain, aux côtés de Dorothée Meilichzon, Designer de l’année 2015 au salon Maison & Objet de septembre, et la journaliste Marion Vignal. Une belle initiative avec au programme : les femmes architectes et décoratrice d’intérieur.

Vos modèles ?

Antoine Broccardo, beaucoup de talent et d’audace, complet. Ensemblier. Mon parrain vraiment.Je suis sensible aux personnalités charismatiques, qui m’impressionnent et m’effraient en même temps. J’ai beaucoup d’admiration pour Andrée Putman. J’aime son univers en noir et blanc. Je suis amusée par sa carrière commencée après 50 ans et sensible à sa manière de mettre en valeur des œuvres d’art contemporain. Il y a Guy Cogeval aussi, directeur du Musée d’Orsay, très bon orateur, dont j’ai retenu l’enseignement, une vision de la transversalité, des résonnances, forte.

Ce sont des gens qui habitent l’espace…

Votre lieu rêvé, à investir et raconter ?

Un musée ! J’aimerais beaucoup réaliser la scénographie d’une exposition ; ce serait un grand bonheur personnel. Me situer dans une proposition d’accrochage par résonnances d’objets, moins liée au marché et à la commercialité de l’œuvre. Au musée, on vend de la pédagogie et de la surprise. L’accrochage est plus libre. Des allers-retours se font entre histoire de l’art et scénographie… On rejoint la fonction de curateur. Et un hôtel bien sûr !

Quelles sont vos découvertes récentes ?

En vérité, je n’ai pas beaucoup de temps. Une table et une adresse, mais tout dépend de la situation (tête-à-tête, moment familial…). Le bar-restaurant L’Entrée des artistes à Paris, ambiance cocktail et cuisine gastronomique. Le cadre est bien dessiné. Il y a là une vraie atmosphère. Et même s’il y a du bruit, on peut tout de même se susurrer des mots d’amour.

Autre adresse nouvellement incontournable : Untitled, le restaurant du Whitney Museum de New-York, design(é) par Renzo Piano, avec pour chef Michael Anthony. Là, tout est incroyable. J’apprécie la cuisine et la démarche de ce chef « classique », ultra sophistiqué, mentor en cuisine de Grégory Marchand, il est aujourd’hui projeté dans un décorum ultra dépouillé et radical avec sa charpente et ses poutres en bois, issu du Gramercy Tavern. On sous-estime souvent l’impact du décor qui change les gens… mais quand il y a véritablement « un pilote dans l’avion », le décor devient une musique, une scénographie qui ne vise plus à combler un manque. Il vient en soutien à l’art culinaire. Une scénographie est une orchestration ultra subtile.

Quel petit plat aimez-vous concocter pour vos amis ?

Différentes recettes de pâtes… mais l’un des moments que je préfère quand je reçois des amis, c’est les courses à faire avant de passer en cuisine ; j’aime partir en quête de produits originaux et de saison, attentive aux provenances.

Votre hobby ?

La gastronomie. Faire travailler mon palais quand je ne travaille pas. J’aime manger, analyser, décortiquer… j’ai véritablement l’âme d’une critique gastronomique.

J’oubliais… la mode ! J’adore faire du shopping, surtout quand je voyage à Londres, New-York ou Bruxelles, chez J. Crew, Jigsaw, Bellerose, que j’aime mixer avec Prada ou Comme des garçons…

Un objet que vous aimeriez voler ?

Un truc dans les Joyaux de la Couronne d’Angleterre. Un diadème de princesse ou quelque chose comme ça… Mon côté « fille » qui s’exprime.

Votre dernier coup de cœur pour une pièce vintage ?

Une chaise de Rei Kawakubo en métal tubulaire chromé noir et cuir… qui se marierait d’ailleurs très bien avec ces pièces de Marcel Breuer, présentées à la boutique.

Votre objet fétiche, porte-bonheur ?

Ma montre Chanel [collection J12 en céramique noire] offerte par mes amis pour mes 30 ans. Contrairement à ce que disent mes amis, je soutiens être extrêmement ponctuelle...

Rendez-vous chez :
Personnel & friends, 22 rue Milton 75009 Paris
info@be-attitude.net


Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres
Exposition "Galerie de l'époque" scénographiée par Émilie Bonaventure à la Galerie Stephen Friedman, mai 2015, Londres

Liste des artistes exposés :


Mamma Andersson
Juan Araujo
Jean Arp
Alexander Calder
Henri Chopin
Dadamaino
Lucio Fontana
Hideko Fukushima
Isa Genzken
Gego
Juan Gris
Mark Grotjahn
Jim Hodges
Wassily Kandinsky
Paul Klee
Judith Lauand
Andrew Lord
Joan Miró
Giorgio Morandi
Shinro Ohtake
Pablo Picasso
R.H. Quaytman
Fred Sandback
Mira Schendel
Kurt Schwitters
Jiro Takamatsu
Jack Whitten

lundi 27 juillet 2015

Bruce Nauman, une expérience extrême

Par Leslie Picardat


Elle provoque un vertige. Belle, hypnotique et éprouvante, cette installation vidéo (extrait) de Bruce Nauman, met à l’épreuve notre résistance. À terre, deux corps de danseuses, se retenant par les mains et tournoyant comme autour d’un cadran d’horloge (déréglée), exécutent au sol une ronde harassante ; 32 minutes 32 à visionner en boucle, et en miroir – 2 vidéos se superposent –, sur un son entêtant. Une expérience sensorielle qui interroge la condition humaine, prise dans l’étau du temps et de l’espace, de l’ombre et la lumière. Un travail axé sur le corps mis à mal, et son mouvement irrégulier, entre vitalité et épuisement. 

      
"Untitled 1970/2009", vidéo couleur diffusée par 2 vidéoprojecteurs, 4 haut parleurs, tapis et ruban adhésif. Performeurs : Elena De l'Acqua et Irene Giubilini. 32 min 32, en boucle. Dimensions variables. Fondation Emmanuel Hoffmann, prêt permanent à la Offentliche Kunstsammlung Basel. Exposée en 2015 à la Fondation Cartier pour l'art contemporain.

Repères : Actif sur la scène internationale, Bruce Nauman est un artiste contemporain influent, né dans l’Indiana (US) en 1941. A ses débuts, étudiant en mathématiques et physique dans le Wisconsin, il entame une carrière de musicien « jazzman », avant d’étudier l’art en Californie au début des années 60. Le mouvement Dada nourrit sa réflexion. S’intéressant d’abord à la peinture abstraite, il vient à d’autres pratiques et aux nouveaux médias ; il réalise des sculptures en néons, vidéos-performances, installations multimédias et œuvres sonores, qu’il veut en dehors des courants artistiques. Son travail, défini comme « minimal » et « conceptuel », se concentre sur le corps et le langage. La danse et la musique contemporaines imprègnent son œuvre. Des chorégraphes et compositeurs tels que Merce Cunningham, Meredith Monk, John Cage et Philip Glass, il tire l’enseignement de techniques et d'expressions corporelles, rythmes et répétitions, qu’il met à l’œuvre notamment dans cette vidéo.  

Son œuvre est présente dans les collections des plus grands musées du monde.
Lion d’or à la Biennale de Venise en 2009, il fut récemment exposé à La Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris, en 2015.

jeudi 23 juillet 2015

What's Your Story?

Par Hayley D.E Mazières


Diplômée de l’Académie Berchem d’Anvers en 2012, Sofie Reinier s’est illustrée, dans son cursus dédié au design graphique, par son projet d’étude intitulé "What’s your Story?". Un concept à travers lequel l’artiste a décidé de raconter son histoire à l’aide de mots, d’objets, de citations, d’images et de dessins…de nombreux repères distillés afin de dévoiler avec mystère et subtilité une histoire personnelle. Enfin, dévoiler…peut-être pas, car les indices de Sofie Reinier troublent plus qu’ils n’éclairent, poussent indéniablement à l’interrogation et à la curiosité.



Avec "What’s Your Story?" Sofie Reinier affirme que ce qui constitue notre histoire ne réside pas seulement dans les événements qui la construisent mais aussi dans nos expériences quotidiennes.

"Toute ma vie, j’ai été fascinée par les mots, les livres, les images… J’ai toujours un petit carnet sur moi pour noter quelque chose qui m’inspire ou qui provoque une émotion. Mon travail est un assemblage de toutes ces impressions… Ces impressions et ces expériences quotidiennes écrivent notre histoire. Ainsi ma collection de mots et de dessins décrivent la personne que je suis, que je suis devenue."



Décliné sur des bijoux à l’esthétique surannée, son projet a été poussé encore plus loin en le liant à la mode et au design. Pourtant, elle ne se voit pas comme une créatrice. Elle demeure une artiste qui a trouvé dans le bijou, une belle manière de se raconter. Mais aussi de soulager son esprit. C’est, par ailleurs, comme cela que Sofie Reinier en est venue au bijou. C’est en perdant un être cher que lui est venue l'idée de poser quelques mots comme une prière secrète et apaisante dans une bague portée en pendentif. Ainsi, lors de l’exposition de son projet, une femme a remarqué son bijou et a souhaité lui en commander un afin de consoler son propre deuil. C’est de cette manière que de projet intime, "What’s Your Story?" est devenu, d’une certaine manière, oeuvre collective. En portant à même la peau les bribes de notre histoire, qu’elle soit triste ou joyeuse, on s’offre un souvenir palpable, comme une amulette thérapeutique qui conjure l’oubli.



Malgré cette propulsion dans le domaine commercial, Sofie Reinier a réussi a conserver l’aspect conceptuel de son oeuvre. Elle refuse les commandes trop généralistes du type "mettre une photo de son chien dans un pendentif". Pour qu’elle crée un bijou (ou un autre objet par ailleurs : elle a récemment conçu un service à thé), il faut lui souffler un pan de votre intimité et la laisser composer.

"Au début, c’est un peu étrange car des personnes que vous ne connaissez pas, vous racontent des choses très personnelles. Et puis, vous devez concevoir un objet à partir de cette information précieuse. On entend beaucoup de belles histoires d’amour mais aussi du désespoir et des deuils. C’est parfois difficile…Mais c’est la vie…Et c’est sûrement là que réside l’aspect crucial de mon concept : c’est la vie. La vie est comme ça. Fragile. A première vue, c’est joli et simple, mais il y a des secrets obscurs."

Un peu comme ses bijoux, en somme…


Un grand merci à Sofie Renier qui a répondu avec passion et grâce à mes questions.

mercredi 15 juillet 2015

Mutant Stage 3 de Benjamin Millepied

Par Hayley D.E Mazières

En attendant l'ouverture de leur fondation d'art, en 2017, les Galeries Lafayette arrivent judicieusement à faire patienter leur public grâce à la mise en place de Lafayette Anticipation qui propose de multiples projets artistiques.
Parmi ces projets, Mutant Stage qui lie danse, architecture et film au sein de clips chorégraphiés qui unissent le corps en mouvement et l'architecture en mutation. Une plongée au coeur de l'évolution du bâtiment en travaux - avec une rénovation signée OMA et Rem Koolhaas - ces vidéos nous révèlent la transformation des lieux.
Avec Mutant Stage 3, c'est le chorégraphe et danseur Benjamin Millepied qui nous invite, par ses gestes et les jeux d'ombre et de lumière, à apprécier l'infrastructure qui petit à petit va reprendre vie. Une jolie danse de l'entre-temps...


N'hésitez pas à découvrir les deux autre vidéos du projet Mutant Stage sur le site Lafayette Anticipation.


mercredi 8 juillet 2015

Dans l’antre de l’art…

Par Leslie Picardat
Texte repris d'une première parution sur www.loeilde.fr  

Atelier Georg Baselitz / photographie Gautier Deblonde

Atelier est un recueil de photographies par Gautier Deblonde, paru aux éditions Steidl en septembre 2014.
69 des 130 photographies que compte la série depuis 2004 sont reproduites dans ce bel ouvrage : des vues panoramiques des ateliers d’artistes contemporains internationaux parmi lesquels Ai Weiwei, Anish Kapoor, David Hockney, Gerhard Richter, Jeff Koons, Wim Delvoye, Nan Goldin…

Gautier Deblonde nous décrit l’atelier comme « un lieu de va-et-vient professionnel… mais qui reste un lieu intime, cher à l’artiste. Il y a des œuvres non finies. Les artistes sont là en porte-à-faux et ne savent pas toujours où ils vont… mais ils m’ont fait confiance et m’ont donné carte blanche ».

Né à Rouen, formé à L’Institut Saint-Luc à Tournai, Gautier Deblonde s’installe comme photographe à Londres en 1991. Lié d’amitié avec les Young British Artists dès ses débuts, il noue une relation de confiance avec nombre d’artistes qui lui ouvrent leurs portes. Il mène une réflexion autour du portrait d’artiste, objet d’une première série de photographies Artists publiées par la Tate Gallery en 1999, élargie à l’espace de l’atelier qui devient sujet. D’une décennie à parcourir l’Europe, les États-Unis et l’Asie, il rapporte le témoignage des secrets de l’atelier sans que l’artiste soit présent et figure dans ses photographies. Un voyage fascinant dans l’antre de l’art en gestation.


Atelier Ai Weiwei / photographie Gautier Deblonde

« J’arrivais le matin pour observer. Je m’accaparais l’atelier. »
Au commencement ou prolongement de l’oeuvre d’art, chaque atelier est unique et identifiable. Le cadre est minimaliste chez Pierre Soulages, Ellsworth Kelly ou Richard Serra. Le contraste est parfois saisissant entre la confusion apparente de l’atelier et l’ordre défini par l’oeuvre aboutie. A voir l’atelier d’Ai Weiwei, entrepôt désaffecté, soufflé comme au passage d’une tornade, ou pénétrer dans l’univers aseptisé de Berlinde de Bruyckere – vision d’une table de boucher, amas d’objets en cire appelés à sculpter ses organes en souffrance – on sent bien que quelques combats et luttes au corps à corps sont menés dans l’atelier ; au pied d’une toile de Christian Boltanski, l’oeil se plaît à remarquer un modeste matelas défait gisant au sol. L’oeil vient ainsi à guetter dans l’atelier chaque détail qui renseigne sur une manière de travail et sur le lien intime et mystérieux de l’artiste à son oeuvre.


Atelier Christian Boltanski / photographie Gautier Deblonde


Atelier Ellsworth Kelly / photographie Gautier Deblonde

« L’atelier d’Ellsworth Kelly… immense, muséal, une peinture par mur… l’artiste ne voulait pas qu’on voit l’endroit exact où il peignait, ses brosses et ses pinceaux, les éclaboussures aux murs, alors que pour moi c’était important. J’ai pris la photo que je souhaitais après qu’il fut parti déjeuner… Je lui envoyais par la suite, en lui expliquant ma démarche… avec le risque qu’il m’envoie promener mais il l’a acceptée… j’en étais très heureux. »

De l’atelier en chantier à l’oeuvre finie, le mouvement et l’énergie créatrice sont palpables. D’un projet titanesque comme les arbres sculptés du maître de l’Arte povera, Giuseppe Penone, conçu dans son vaste atelier de Turin, aux couleurs des toiles du peintre danois Per Kirkeby qui éclaboussent et peu à peu colonisent l’espace, l’atelier renvoie l’image fascinante d’un monde de création en expansion. Ces vues d’atelier s’imposent comme une manière de portraits en profondeur tant l’identité de chaque artiste est prégnante. « Plus de cinquante personnes ont beau quotidiennement occuper son atelier, on sent qu’on est chez Jeff Koons. » D’un atelier à l’autre, sur trois continents, on se trouve en terrains conquis et marginalisés, marqués tant par l’individualité que l’universalité.


Atelier Zhang Huan / photographie Gautier Deblonde

« Comme dans une chapelle ou une église… je viens d’une famille catholique… on sent parfois dans l’atelier une vraie présence. (…) L’atelier de Zhang Huan en est un exemple que j’affectionne particulièrement, une photographie en noir et blanc, une toile au sol faite de cendres provenant de temples bouddhiques dans une lumière dorée, un lieu chargé d’histoire. »

Au-delà du document, ces images sont belles. Elles donnent à voir l’atelier comme une oeuvre vivante, un paysage qu’elles recomposent et synthétisent par l’observation sensible des formes et des jeux de lumière. Par l’attention et le silence qu’elles imposent aussi.
Un ouvrage précieux à découvrir.

Une version collector, limitée à 30 exemplaires dédicacés et numérotés, est actuellement disponible, en partenariat avec la maison Louis Vuitton. Présentée sous coffret, elle s’accompagne d’un tirage photographique de l’atelier de Takashi Murakami, 
de Richard Prince ou de Yayoi Kusama. 
(Contact : fr.louisvuitton.com / 09 77 40 40 77)

Gautier Deblonde est représenté par la galerie Cédric Bacqueville.
www.galeriebacqueville.com/


Atelier Per Kirkeby / photographie Gautier Deblonde 

Atelier Giuseppe Penone / photographie Gautier Deblonde

Atelier Richard Serra / photographie Gautier Deblonde

Atelier Annette Messager / photographie Gautier Deblonde


Atelier Berlinde de Bruyckere / photographie Gautier Deblonde

Atelier Ron Mueck / photographie Gautier Deblonde

A voir également par Gautier Deblonde : le portrait vidéo "Still Life – Ron Mueck at work" présenté à la Fondation Cartier dans le cadre de l’exposition Ron Mueck du 16 avril au 27 octobre 2013.
L’atelier en cours de Gautier Deblonde : un travail photographique et vidéo pour le Centre d’art brut de Gugging en Autriche.

www.gautierdeblonde.com/

vendredi 3 juillet 2015

Scarpa au poignet

Par Leslie Picardat
Texte repris d'une première parution sur www.loeilde.fr

Collection Scarpa, bracalet "Condo" - Prim by Michelle Elie - photo par Albrecht Fuchs


« Scarpa », signé du label Prim by Michelle Elie. Une collection de sacs et bijoux remarquée, présentée pour son lancement à Paris – avec pour écrin : l’ancien appartement de Jean Cocteau au Palais Royal.

Cette ancienne top-modèle et styliste new-yorkaise, devenue créatrice d’accessoires, est une initiatrice, brillante et fantasque, aujourd’hui résidant à Cologne. La dame a du style, et chacune de ses apparitions approchent la performance artistique. De longue date, adulée des photographes, cette mère de trois enfants défraie les Fashion Weeks par ses audaces vestimentaires, entre élégance urbaine et mode expérimentale. Pour cette nouvelle collection, hommage à l’architecte, designer et muséographe italien Carlo Scarpa (1906-1978), Michelle Elie joue sur la transversalité des modes d’expression artistiques, transposant formes et matériaux empruntés à l’architecture.

D’argent recouvert d’or, volumineux et élégant, le bijou Prim by Michelle Elie en impose ; il sied à la femme qui ose, libre et sans complexe. Le vocabulaire du maître Scarpa inspire ces lignes pures, alliant le cercle au carré, rondeur et planéité. Ingénieux, un système de fixation aimanté accentue, pour les bracelets, la ligne et la découpe du dessin. La préciosité est dans l’ornement niché à l’intérieur du bijou, dans l’attention portée au détail.

Là aussi, le choix des matériaux fonde l’objet couture – le sac – en objet sculptural. En bois de cerisier et métal doré, le sac « Veneto » reproduit sur ses côtés le tracé graphique des grilles de la Fondation Querini Stampalia à Venise, investie et rénovée par Scarpa au début des années 1950. Quant au modèle « Aturo », il mêle le bois au plexiglas, teinté bleu nuit, comme une fenêtre ouverte au crépuscule. Chaque pièce est produite des mains d’artisans talentueux, dont les ateliers sont en Espagne : du sculpteur sur bois Cecilo Reyes, et des orfèvres Juan Diaz Losada et Alberto Quiros, spécialisés dans la confection de statues et parures religieuses. L’icône en héritage…

A découvrir également : la collection « Makak », nourrie des origines haïtiennes de l’artiste, inspirée par l’anthropologue et ethnologue français Claude Lévi-Strauss (1908-2009)…
Une créatrice de passions et fétiches dont on aime la démarche et l’originalité.
www.michelleelie.com

Photos par Albrecht Fuchs











lundi 29 juin 2015

Dessiner pour être heureuse...

Par Hayley D.E Mazières

Perhentian Islands
J'ai découvert le travail de Florence de Monaghan avec la création de ce blog quand Leslie a proposé que nous nous fassions portraiturer par une de ses amies dessinatrices. Et ce fut un coup de coeur! C'est étonnant et jubilatoire que de se découvrir dessiné. Florence ne me connaissait pas et à partir d'une simple photographie, j'ai la sensation qu'elle a su capter et dépeindre qui j'étais. 
Nous avons ainsi décidé de la mettre à l'honneur dans cette catégorie baptisée Pépinière car elle a pour vocation de vous présenter des jeunes artistes professionnels ou des créatifs amateurs comme l'est Florence.
Florence se sert de ses dessins comme d'autres d'un appareil photo, elle dépose sur papier ou sur sa palette numérique les scènes et les personnes dont elle souhaite conserver une trace, un souvenir passé par le prisme de sa subjectivité artistique. 

Australie
Grande voyageuse, elle nous embarque dans des contrées exotiques avec ses carnets de voyage qui dégagent une identité bien plus charmante et délicieusement désuète que nos photographies mécaniques. 

Philippines
Florence, c'est aussi une observatrice du genre humain, la spectatrice attentive et acerbe de faits de société mais aussi la portraitiste attitrée de ses proches qu'elle raconte avec tendresse. 



Il y a parfois dans le dessin quelque chose de plus intime que dans la peinture. Dans l'acte de croquer sur le vif, intervient le personnel mais aussi une forme de thérapie: profiter de ce si célèbre 'instant présent' que préconisent tous les ouvrages sur le bien-être. Florence le reconnait elle-même, dessiner la rend heureuse et plus elle est heureuse, plus elle dessine...Peut-être est-ce parce qu'avec ses dessins elle ne laisse s'échapper aucun souvenir, aucun moment..et donc, se défait-elle de tout regret. 


Quelque peu abandonné et oublié à partir des années 1970-80, le dessin a fait un joli come-back dans les magazines de mode qui s'étaient empressés de l'abandonner au profit de la photographie couleur. Il est aussi au coeur de foires d'art populaires et, ironiquement, a su s'imposer auprès d'un public jeune grace au numérique et internet avec ses bloggeuses telles Garance Doré qui ont su le rendre terriblement séduisant, incisif et branché. 


Pour Florence, le dessin n'est qu'un passe-temps tandis que son activité professionnelle la porte vers d'autres horizons. Nous sommes donc d'autant plus fières qu'elle ait accepté de nous prêter son talent pour notre blog.

Vous pouvez découvrir le travail de Florence de Monaghan sur son blog, par ici.